La loi, la voie

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La foi est certitude. La foi traduite en action suppose en plus de l’élan du cœur une intention, une recherche sans relâche de l’occasion de faire bonne œuvre. La croyance en Dieu et en le Jour Dernier n’est que velléité stérile si elle n’est pas suivie d’actes, c’est-à-dire d’actions sous-tendues par une intention claire, une volonté agissante et de la discipline.

La Loi islamique se dit “châria”, ce qui signifie en arabe “voie”. Le fidèle soumis à Dieu suit une voie, une marche disciplinée, une méthode de vie. Le mot “châria” évoque chez les islamophobes assermentés ou mal informés la cruauté et la soif de sang.

“Châria” pour cette catégorie de personnes, c’est l’inhumain. Parce que des mains ont été coupées atrocement et inconsidérément par des régimes précipités et ne tenant pas compte des précautions combien grandes dont la châria entoure l’application du code pénal islamique, on a sous la main l’argument nécessaire pour incriminer l’islam et sa Loi comme une pratique sauvage.

Le réductionnisme mal intentionné ou mal informé veut ignorer ou ignore que la “châria”, la voie, traverse tout le champ normatif de la vie individuelle et sociale. Pour ceux qui ne veulent rien savoir, elle se résume en un code pénal et en une pratique improvisée. L’usage désolant qu’on fait maintenant dans certains pays musulmans des punitions instituées par la châria, en ne se souciant guère des circonstances où cette Loi doit être appliquée, concourt à approfondir plus encore le malentendu.

Le Coran et la Sounna (enseignement et pratique du Prophète) sont les deux sources de la Loi. La Sounna nous montre un Prophète humain et doux au plus haut point, un Prophète qui montre le chemin aux gens, qui leur enseigne une ligne de conduite et la recherche positive du salut.

Si pénalisation il y eut de son temps, c’est dans les limites et dans le cadre d’une paix sociale où le crime doit être puni. Si pénalisation il y eut, c’est dans le cadre d’une société qui reconnaissait autant de droits à ses citoyens, qu’elle exigeait d’eux de devoirs.

Des six mille versets du Coran (6236 exactement), trente seulement sont consacrés aux ordonnances réprimant le crime, treize seulement parlent de jugements et de disputes. Le reste est Guidance. Le reste développe en l’homme le souci de son Devenir après la mort en lui citant l’exemple édifiant des Justes et en lui recommandant la droiture et le sérieux.

Le reste, c’est-à-dire pratiquement la totalité du Coran, est consacré avant toute chose au rapport de l’homme avec son Créateur et à la bonne œuvre nécessaire pendant cette vie-ci pour que l’homme se perfectionne et mérite le bonheur éternel.

En fonction de ce rapport, les relations sociales, les situations de paix et de guerre, le partage des biens ainsi que l’ensemble des principes moraux, économiques, politiques et familiaux sont abordés dans un esprit de tolérance et de respect pour la vie. Le don et le pardon sont les conditions d’une régulation islamique de la vie sociale, non la chicane et la haine.

En tête des objectifs visés par la Loi divine vient le souci de parachever la bonne œuvre salvatrice. La préservation de la vie, celle de la raison, celle des bonnes mœurs dans la société et celle de la propriété sont des objectifs vitaux pour assurer l’ordre et la paix sociale sans lesquels nulle œuvre constructive n’est possible. Les sanctions prévues par la Loi forment alors comme un garde-fou sur la voie menant à Dieu.

Tout comme dans un État de droit où la justice est affaire d’une juridiction humaine concernée par l’ordre et la paix, la Loi de Dieu qui veut qu’ordre et paix règnent dans la société de foi sanctionne les incartades et neutralise les fauteurs de troubles. Toutefois, Elle n’en reste pas là et ne part pas du même principe que la juridiction humaine. La vérité révélée à laquelle adhère le peuple musulman est le principe directeur, non le droit imposé par la contrainte d’un pouvoir monopolisant la violence physique et la coercition : en ceci réside la grande différence.

De la fermeté, il en faut dans toute société policée, et la société islamique n’est ni un cloître de moines, ni un jardin de plaisance. Le projet individuel de salut ne peut être poursuivi qu’au milieu de la turbulence sociale, et celle-ci doit être gouvernée par des lois. De la loi fondamentale, la constitution en langage moderne, aux lois partielles, chaque segment de la vie sociale a besoin de législations renouvelées et adaptatives.

Les principes fondamentaux énoncés dans le Coran et la Sounna sont les piliers de la juridiction, mais ils ne couvrent pas le détail de la vie sociale ou économique ou politique. Un large espace est ouvert à l’effort du législateur pour mettre la Loi en œuvre et l’adapter aux circonstances changeantes.

Une procédure et une qualification sont exigées du juriste musulman, qui garantissent que l’esprit de la Loi ne sera pas trahi et que les résolutions explicites et claires ne seront pas transgressées. Il y a des limites à l’initiative de l’ijtihad (effort juridique), mais le littéralisme et le suivisme sont autant d’entraves au choix nécessaire et indépendant des juristes du passé.

Un système juridique paralysé et enchaîné aux jurisprudences du passé, en deçà du Coran et de la Sounna, ne peut répondre aux exigences modernes d’une économie mondialisée et aux contraintes internationales qui lient ensemble les nations. Nous isoler dans nos normes et fermer nos volets de peur que les influences contraires ne nous éclaboussent relève de l’impossible dans un monde “villagisé”. Par contre, se plier sans conditions aux diktats d’institutions puissantes et d’États hégémoniques est un autre choix plus fou encore !

Le cadre souhaitable et nécessaire pour participer positivement à la vie du monde moderne et échapper aux traquenards de la mondialisation est celui de la solidarité islamique multilatérale. Il faut faire bloc autour de notre Loi et la défendre. Le jour viendra, si Dieu le veut, où cette même Loi sera le ciment et l’esprit d’une fraternité islamique qui abolira les frontières factices des États-nations, prisons des peuples musulmans.

Islamiser la modernité, p 60-63

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