Les trois critères d’appréciation

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Pour appréhender l’ample réalité des rapports de l’homme à Dieu, à la société et à la nature, tel que ces rapports ont existé, existent et existeront à travers le cheminement historique, nous aurons recours à trois critères d’appréciation :

1° Le critère spirituel, qui définit les fins dernières de l’homme.

2° Le critère moral, qui distingue la conduite de l’homme dans la société et la conduite des sociétés, des Etats-nations si vous préférez, dans le monde.

3° Le critère de rationalité, d’efficacité qui doit régir nos rapports à la nature inerte afin que l’économique et le technologique, supports nécessaires et moyens, soient accordés aux buts de la fraternité sociale et propres à libérer chaque personne humaine des nécessités matérielles pour lui laisser l’occasion et le temps de rechercher sa plénitude que, seule, la recherche de Dieu peut lui donner.

La civilisation coupée, selon l’expression du Prophète, renverse l’ordre des valeurs. L’économique, qui est la nécessité prioritaire de toute façon, est le moyen et l’essentiel. Là s’arrête la perspective.

Nous rétablissons l’ordre en pensée parce que notre époque bouleversée « fixe » les idées et axe toute action sur le problème économique. Si bien que la société évalue sa réussite par le seul niveau de vie et que le succès d’une politique est mesuré par les seuls résultats du développement économique. Cette fixation aux côtés matériels de la vie, conséquence d’une philosophie bestiale et de l’âpre concurrence entre les riches et les pauvres du monde, est la caractéristique de la civilisation barbare. En mettant au premier plan les fins spirituelles de la personne humaine, une, irremplaçable et éternelle, nous n’entendons nullement méconnaître le poids qu’exerce l’insécurité matérielle sur les personnes et les sociétés. Au contraire, nous pensons que la base matérielle de l’homme, son corps, siège des besoins immédiats et qui ne souffrent point de compromis, est la condition même de son existence. L’homme affamé et malheureux ne peut concevoir d’idée ni entreprendre d’action qui ne soit centrée sur ses besoins immédiats et sur les causes de sa misère. Il a raison celui qui affirme que l’homme pense par son ventre. Le marxisme intronise cette vérité comme l’unique et la reine de toutes les vérités. La fondamentale exigence biologique sert de support solide à l’élaboration idéologique. Irréfutable parce qu’élémentaire ! Mais il fallait que Marx insistât sur la chose pour la faire entrer dans les esprits comme donnée fondamentale de la réalité sociale.

Mais cette donnée massive, comme toutes celles du siècle, fille de la nécessité et d’une vision du monde et de l’homme partielle et coupée, ne conduit que vers la pente, ô combien naturelle ! de la dialectique sociale dans laquelle s’exténuent et s’épuisent toutes les valeurs. C’est pour évoquer une voie ascendante, celle de l’idéal islamique, qui ouvre devant l’homme la perspective de sa complétude une fois les problèmes lourds de la vie matérielle réglés, que nous mettons l’accent sur le dernier critère (celui de rationalité et d’efficacité).

Dernier à partir du plan spirituel mais cuisamment urgent à partir de la condition humaine. La sphère matérielle, dans laquelle nous sommes immergés, lève un lourd tribut sur notre capacité de voir plus loin que notre nez. Le souci de la subsistance quotidienne, le chômage et la misère, le voisin adversaire, l’Etat et ses contraintes, les tracasseries de l’administration, l’enfant malade, la carrière, les amis, les ennemis…, tout cela pèse sur nous et nous aplatit dans notre plus simple expression. Comme individus, nous sommes ainsi gouvernés par le socio-économique ; comme sociétés capables de philosophie et de science, l’ordre des nécessités premières pèse sur notre destin et sur les esprits qui tendent ainsi à tout ramener à l’Economie. Le marxisme est l’expression parfaite de ce réductionnisme idéologique préface au monde de plus en plus unidimensionnel où nous vivons.

Vie digne, vie fraternelle, vie libre pour chaque personne humaine, ainsi s’épellent les trois critères traduits en valeurs concrètes et perceptibles pour chacun. L’Islam, pour être apte à être adopté comme alternative à la civilisation de l’avilissement de l’homme, doit être compris et appliqué dans l’intention de Dieu qui crée les hommes pour être candidats au maximum de dignités matérielle, sociale et spirituelle. Cette jungle qu’est devenue la terre et où sévissent les dialectiques des impérialismes et celles dues à l’injustice sociale a besoin de l’éclairage islamique qui, loin de nous masquer ces réalités violentes et inhumaines, nous montre la méthode d’instaurer progressivement une société, des sociétés justes et fraternelles. Une vie libre enfin signifie d’abord et suppose une liberté de travailler, de gagner ma vie dignement pour être ensuite libre de cultiver ma relation à autrui et ma relation à Dieu, me réalisant ainsi dans l’éventail de toutes mes virtualités.

Aucune visibilité de Dieu si la sphère socio-économique est opaque, si le souci du lendemain, de l’oppression et des inégalités injustes obscurcit ma conscience. Ali, gendre du Prophète et quatrième vicaire après lui, a résumé cette loi qui fait passer le nécessaire avant l’essentiel dans la vie concrète des hommes en disant : « La misère est presque synonyme d’infidélité à Dieu. »

Aucune société fraternelle ne peut être établie si les conditions, naturelles à toute société, même à celles du Potlatch (n’en déplaise aux scaphandriers du folklore sociologique), dans lesquelles l’égoïsme des individus et l’égoïsme aggloméré des classes sèment l’injustice et la haine, ne sont remplacées par des conditions gouvernées de volonté d’homme, favorables à l’éclosion de l’amitié et du don.

Mais pour que les hommes aiment leur prochain, pour qu’ils puissent donner, il faut d’abord mettre fin à la pénurie, faire régner la justice et mettre en échec les forces obscures qui font dévier toute entreprise humaine vers le penchant de l’égoïsme atavique.

Ni spiritualité ni morale ne peuvent s’épanouir si l’inéluctable substructure n’est réglée dans le sens de la justice. Le sentiment de justice cependant dérive non pas de l’étage inférieur où bouillonnent les pulsions vitales de base, mais d’une certaine instance supérieure propre à l’homme et que l’animal, qui a comme nous des besoins et qui vit en société, n’a pas.

Extrait du livre : « La Révolution à l’heure de l’Islam », Pages 11-13.

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