La mort dans l’âme

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N’est-il pas rationnel et raisonnable de placer au centre de toute épistémologie la seule vérité absolue de l’homme : sa mort ?

La mort ne devrait-elle pas être prise en compte en tant qu’élément déterminant dans toute connaissance exacte ou moins exacte de l’homme ?

La littérature[1] occidentale regorge de réflexions plus ou moins amères sur la mort mais le rapport à celle-ci est un rapport d’appréhension et de rejet, un rapport marqué par le tabou. Quand on en parle, c’est pour la déclarer vaincue, repoussée, retardée, jamais pour la regarder dans les yeux avec sérénité, dans la paix avec soi-même. A l’orée de la post-modernité, parler sans précautions de la mort est la marque d’une psychopathie aiguë. Comme du Sida, il faut se couvrir de son idée, se caparaçonner.

Le leitmotiv de l’heure, n’est-il pas : « il faut positiver » ?

C’est d’un grand négativisme, voire d’une grande négation de l’ordre social que de parler de la mort, que d’en traiter, que d’en faire un art ou une affaire. Trop penser la mort est la traduction d’un grand trouble du comportement, le reflet d’une maladie mentale évidente. L’homme moderne a le devoir de braver l’idée de la mort, le droit de flirter parfois avec elle pour une poussée d’adrénaline occasionnelle ; jamais celui de l’épouser et de vivre en harmonie avec elle. Le temps de la réflexion morbide n’est plus. La longévité réalisée grâce à la médecine moderne enivre et donne l’illusion d’une fausse éternité.

Freud, un autre pape de l’humanité rebelle à Dieu n’a-t-il pas opposé diamétralement dans ses thèses le thanatos à l’éros. L’éros est un instinct élevé aux nues alors que le thanatos est dévalorisé. La pulsion de mort est négative et maladive. Accepter la mort et se poser des questions sur ce qui nous attend après la mort est une tare, une terrible déviation à combattre, une maladie à guérir.

Pour cela, chaque jour que Dieu fait, l’humanité freudisée refoule l’idée de la mort et l’aseptise. On ne philosophe ni en bien, ni en mal sur ce sujet. Il vaut mieux ne plus y penser du tout.

L’homme moderne est un battant. Il ne doit surtout pas faire des amalgames douteux en mélangeant la vie avec la mort. Les morts sont bien morts, leurs fonctions vitales (mots creux pour désigner la vie) se sont arrêtées de fonctionner et les vivants continuent de conquérir le monde. Point à la ligne.

La modernité aura beau vouloir se débarrasser à jamais de la mort et l’effacer des esprits, elle a beau vouloir la fuir, celle-ci nous habite au plus profond de nous-mêmes. Elle nous hante. Elle naît avec l’homme : elle lui colle à la peau, envahit ses gènes et aucune « mélatonine » ne pourra la vaincre ni l’arrêter. Elle est aussi le seul état que tous les hommes partagent équitablement.

Toute philosophie qui ne tienne pas la mort pour cruciale est un mensonge et un leurre, une élucubration gratuite, un… vertige, … une nausée.

Extrait du Livre « Toutes voiles dehors », pages 73-75.


[1] J’entends par littérature tout ce qui se lit et qui va de la poésie à la philosophie.

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